Rencontre avec Hélène Marfaing, ingénieure agronome, chef de projet agro-alimentaire au CEVA (Centre d’Etude et de Valorisation des Algues) et co-auteure du livre « Savez-vous goûter… les algues ? ».
Pouvez-vous nous présenter le CEVA en quelques mots, quelles sont ses principales missions ?
Le CEVA basé à Pleubian (Côtes d’Armor, Bretagne, France) est un organisme de recherche privé et reconnu comme centre expert européen des végétaux marins. Créé en 1982 pour répondre aux besoins des collectivités locales sur les problématiques de proliférations algales (marées vertes), le CEVA s’est très vite orienté vers la mise au point de produits et de procédés nouveaux pour satisfaire les demandes des entreprises désireuses d’utiliser les propriétés des algues. Le CEVA a ainsi une longue expérience du développement d’ingrédients algaux et végétaux, de la culture de macro et microalgues et de leurs usages dans différents domaines : alimentaire, cosmétique, matériaux, chimie…
Quel est votre parcours, comment êtes-vous arrivée au CEVA ?
J’ai un parcours de formation dédié à l’agroalimentaire, en particulier dans l’industrie laitière. Le lait comme matière première m’a passionnée. Grâce à cet ingrédient, on peut faire de multiples produits beurre, fromages, yaourts, crèmes desserts. Les technologies de transformation grâce à l’utilisation de ferments ainsi que la biochimie associée sont vraiment très intéressantes.
J’ai toujours été intéressée par la cuisine (très gourmande de nature), l’alimentation, la santé, mais également la mer, la voile, l’énergie marine suite à une classe de mer qui a été un vrai déclic.
Du coup j’ai pu combiner ces 2 passions au sein du CEVA depuis 2001 quand je suis arrivée dans la région. Je suis chargée de développement agro-alimentaire et nutrition. C’est-à-dire que j’aide des entreprises à connaître les algues, leurs intérêts nutritionnels, à développer des produits, des procédés de transformation des algues, et à évaluer les contraintes réglementaires. Je travaille également sur des projets plus collaboratifs où à plusieurs nous réfléchissons sur les recherches et les développements possibles liés aux algues. Tout ça est sous-tendu par une des missions du CEVA qui est de développer la filière économique liée aux algues.
Diriez-vous que les algues, qui sont de mieux en mieux connues en occident pour leurs qualités et vertus, seront de plus en plus utilisées demain ?
Oui, clairement, on sent un réel engouement pour ces végétaux de la mer ou ces microalgues. C’est une tendance de fond en parallèle de la prise de conscience des français sur la composition de leurs assiettes : origine, qualité et santé.
Pour être tout à fait scientifique, il n’existe pas de données officielles sur la consommation française d’algues. Seules les études consommateurs permettent d’appréhender l’intérêt, le niveau de consommation et les produits aux algues les plus appréciés des Français. Dernièrement deux études ont été réalisées en France qui permettent de renouveler des données anciennes, compilées il y a plus de plus de 10 ans (Brault & al, 2002).
Les résultats de ces 2 études consommateurs récentes démontrent tout d’abord une connaissance croissante des algues par les consommateurs : 86% des personnes interrogées savent que les algues peuvent se manger (Litzer, 2013). Ces résultats traduisent une évolution dans la perception de l’algue. En 2002, nous soulignions que « les algues ont un problème majeur, elles ne sont pas considérées comme des produits alimentaires » (Brault & al, 2002).
Ceci s’accompagne d’une consommation croissante d’algues. Alors qu’en 2000, seulement 30% de la population française avait consommé des algues ce chiffre a doublé en 2013 : 58% de la population française a déjà consommé des algues (Ritter & al, 2013). Cette évolution est principalement liée à la diffusion des restaurants asiatiques : 58 % des personnes interrogées ont en effet fréquenté un restaurant asiatique et les produits aux algues consommés par ordre d’importance sont les sushis (93%), les soupes (62%) et salades (36%). Les algues sont clairement perçues comme naturelles et saines. Les consommateurs informés reconnaissent leurs fortes teneurs en minéraux, fibres et vitamines.
Quelles sont les principales « macro » et « micro » algues consommées aujourd’hui en France ? Comment et par qui ?
Globalement on produit et consomme plus de macroalgues (100 fois plus) que de microalgues. Il est important de distinguer la consommation asiatique de la consommation d’algues occidentale. En Asie, (Japon, Corée), la consommation est évaluée entre 4 et 14 g d’algue sèche de macroalgues par jour. Les algues les plus consommées sont la Nori, le wakame et le kombu. La plupart des algues consommées le sont sous forme de condiments, de soupes, de salades, de garnitures en mélange avec d’autres légumes ou sous forme de condiments vinaigrés.
L’algue rouge Nori une fois séchée, transformée en fines feuilles noires, enveloppe sushis, makis ou onigiris, mais se déguste également en feuilles assaisonnées (sésame, piment, sauce soja) à l’apéritif et sous forme de paillettes pour saupoudrer les plats de légumes et salades. Ses arômes marins (proches de la peau de sardine grillée), mais également de thé fumé et de champignons séchés, se libèrent en bouche où sa texture craquante devient fondante. Le nori japonais est généralement préparé soit nature, soit avec de la sauce soja. Le nori coréen est préparé lui avec de l’huile, du sel, des graines de sésame ou du piment. Il est souvent plus ajouré, léger et croustillant.
Le wakame, algue brune, est vendu principalement séché, à réhydrater dans des salades ou soupes, comme la soupe Miso. Il est apparu récemment en Occident dans les bars à sushi sous la forme d’une salade de wakame assaisonnée au sésame. En Corée du Sud, lorsqu’une femme accouche, une soupe de wakame lui est proposée 2 à 3 fois par jour et ce pendant 3 semaines. Riche en iode, magnésium et autres minéraux, le wakame est idéal pour le bon rétablissement de la mère mais aussi de l’enfant qu’elle va allaiter. A chaque anniversaire de l’enfant, une soupe de wakame sera réalisée pour rappeler l’événement de la naissance (Moon & Kim, 1999).
Le kombu, algue brune laminaire, est l’ingrédient de base du dashi (bouillon de base japonais), mais s’utilise également en papillotes autour d’un poisson ou vinaigré en condiment. C’est dans le bouillon de konbu qu’un japonais Ikunae Ikeda a décrit la saveur umami signifiant en Japonais « délicieux » ou « savoureux ». La molécule responsable de cette saveur est le glutamate de sodium, naturellement présent dans l’algue.
En occident et en Europe, la consommation est beaucoup plus faible. En boutade, on peut dire qu’un français consomme en un an la quantité d’algue qu’un japonais mange en 1 jour ! Mais cela évolue comme on a pu le voir dans le paragraphe au-dessus.
Les principales algues alimentaires disponibles en France sont au nombre de 6 : Haricot de mer, Dulse, Laitue de mer, Nori, wakame et kombu royal.
Les microalgues les plus consommées sont la spiruline bio et la chlorelle, sous forme principalement de compléments alimentaires à ce jour.
Peut-on s’attendre prochainement à l’arrivée de nouvelles algues proposées sur le marché ?
Oui, certains producteurs ou industriels ont le souhait d’utiliser des algues différentes de celles actuellement proposées. Mais c’est un processus assez long et pas forcément visible à court terme pour le consommateur.
Vous êtes co-auteur du livre « Savez-vous goûter …les algues ? »
…avec Pierre Mollo, scientifique spécialiste du plancton, Julien Lemarié et Johanne Vigneau des chefs étoilés, coordination par Danièle Mischlich médecin spécialiste en santé publique (www.presses.ehesp.fr). Quelle est l’aventure de ce bel ouvrage ?
L’aventure a commencé il y a plus d’un an quand Danièle Mischlich m’a contactée pour la participation à cet ouvrage collectif. Elle avait pris la précaution de m’envoyer une exemplaire du précédent livre de la collection « Savez-vous goûter les légumes secs ». et j’avais été épatée par cet ouvrage qui mêlait histoire, science et cuisine. Du coup j’ai accepté de collaborer à ce travail collectif, un bel ouvrage qui a pour ambition de mêler des regards croisés entre hommes, femmes, scientifiques, chefs et restaurateurs de différentes origines et de parler à la fois de macroalgues et de micro algues, de les présenter succinctement en valorisant leurs atouts nutritionnels et de fourmiller d’idées recettes et de conseils pratiques.
Quelles algues consommez-vous personnellement ? Avez-vous une recette « préférée » à nous donner ?
Personnellement je consomme de la spiruline au petit déjeuner. Et je consomme très régulièrement des salades d’algues brunes au sésame (wakame, haricot de mer, kombu royal ou encore wakame atlantique en fonction de ce que j’ai sous la main). C’est très simple à réaliser : après blanchiment rapide, je conserve les algues avec du sel pour les attendrir et les stocker au réfrigérateur (ou vous pouvez les acheter en magasins biologiques en barquettes « fraiches salées »). Après dessalage, je les découpe en fine julienne et je réalise une vinaigrette à base d’huile de sésame, de vinaigre de cidre, de gingembre frais, une point de cassonade, de sel et de graines de sésame toastées. Mélanger les algues et la sauce et laisser mariner quelques heures. C’est délicieux, frais et plein de vitalité.
Par ailleurs j’aime beaucoup utiliser la laitue de mer sèche en poudre dans les desserts ; je trouve qu’elle présente une amertume proche du thé vert de type Matcha et s’intègre merveilleusement dans des desserts avec du chocolat blanc, des framboises ou de la poudre d’amande (comme dans des financiers qui deviennent tout vert !).
A noter que le haricot de mer est une algue très facile d’utilisation qui convient à toute la famille : cuite avec ou sans pâtes, cela donne des tagliatelles de la mer délicieuses à assaisonner bolognaise, carbonara ou à la japonaise. Confite dans du sucre et enrobée de chocolat, elle donne un sarment marin qui ravit tous les gourmands.
Avez-vous des conseils à donner à nos lecteurs en matière d’alimentation et de bien être ?
Je n’ai pas de véritable conseil à donner. Il faut cependant prendre conscience que ce que l’on mange permet de nous construire aussi une alimentation saine et équilibrée permet d’être au mieux de nos capacités santé. Mais surtout il faut garder le plaisir de manger, de cuisiner, d’être curieux de tout et de s’écouter pour connaitre ce qui est bon pour chacun d’entre nous.
Quelle est votre citation favorite ?
Oh là, là, je n’ai pas de véritable maitre à penser ! Disons « Carpe diem ».
Pour commander le livre « Savez-vous goûter…les algues? »